Introduction
   

Voici un bilan des méthodes d'évaluation du paysage mises en place depuis le début du 19ème siècle jusqu'à nos jours. Ce bilan permet de distinguer les travaux qui traitent du paysage comme d'un simple objet d'étude de ceux qui s'attachent à appréhender sa dimension subjective. Il se conclut par un point sur la recherche concernant l'influence des pratiques agraires sur le paysage.

Les références de tous les auteurs cités dans cette partie figurent dans le chapitre « Bibliographie » de ce site.

Sources  
Les parties "Paysage Objet" et "Evaluation du Paysage" de cet historique sont issues de deux sources présentant de façon synthétique les principales recherches portant sur l'évaluation du paysage :
- Rougerie G. et Beroutchachvili N., "Géosystèmes et paysages :
. bilans et méthodes
", 1991 [Armand Colin],
- Le Floch S., "Bilan des définitions et méthodes d'évaluation des
. paysages
", 1996 [Revue Ingénieries - EAT n°5, pp. 23-31, Mars
. 1996].





Paysage objet
   

Alors que, Jusqu'à la fin du 19ème siècle, elle était une affaire d'initiés, une prise en compte collective sur la notion de paysage a émergé depuis le début de ce siècle, par la conjonction de phénomènes sociaux et technologiques :
des possibilités de déplacement plus rapides,
les épopées coloniales,
l'apparition et la diffusion de la photographie,
le rôle de la presse, ...
Le paysage était alors l'occasion de décrire et de comprendre le « réel » ainsi que les formes qui le composent mais était restreint dans son sens physionomiste, c'est le « paysage - objet ».

Le paysage-objets des naturalistes  
L'idée de paysage se démocratise ainsi, notamment sous l'influence de naturalistes allemands qui, en privilégiant une approche purement morphologique, se limitent à la description des formes végétales.

On distingue à cette époque deux principaux courants de pensée :
La première, la Landschaftkunde, étudie « l'expression spatiale des structures réalisées dans la nature par le jeu de lois scientifiquement analysables ». GRIESBACH s'est attaché, par exemple, à mettre en place une typologie des formes végétales (1838) ainsi qu'un aperçu global de leurs différents modes d'organisation (1872).
La seconde, la Kulturlandschaft, se base sur les recherches concernant la perception immédiate des formes sensibles de l'environnement. Héritage de la Gestalttheorie, elle suggère que les formes ont des valeurs qui leur sont propres : une forme est, ainsi, bonne ou mauvaise en soi.

Cette sensibilité particulière vis-à-vis de la végétation dans l'étude du paysage sera à l'origine d'une science encore très populaire aujourd'hui, l'Ecologie du Paysage. Celle-ci montre qu'il est possible d'associer les assemblages des divers éléments du paysage à des fonctions écologiques.

Le paysage-objets des pionniers  
Devant le besoin d'organiser le développement économique de vastes terres mal connues et peu exploitées, plusieurs nations ont été à l'origine de nouvelles approches physionomistes du paysage : sur la base de préceptes scientifiques, il était nécessaire d'examiner en quoi les contraintes naturelles pouvaient constituer des obstacles à la colonisation humaine.

Le paysage était alors assimilé non-plus seulement aux uniques éléments végétaux mais à l'ensemble du Géosystème (qui comprend l'hydrosystème, le relief, le sol, la géologie, le climat, ...).

De ce constat sont nées différentes approches :
L'expérience australienne du Land System utilise la méthode dite du C.S.I.R.O (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organization) qui se propose d'établir une classification des possibilités d'exploitation entre les milieux étudiés (ressources, potentialité, vulnérabilité et accessibilité) et qui correspond, en sommes, à une estimation économique des coûts.
La science du paysage en Russie
La géographie soviétique a permis, pour la première fois, d'atteindre une conceptualisation en matière de paysage et ainsi d'élaborer des méthodologies. Elle s'est basée sur les travaux de sensibilité naturaliste publiés par DOKOUTCHAEV (la Landschaftovedenie) qui se proposait de démontrer l'organisation du paysage.
L'approche agro-écologique canadienne inaugurée par P. DANSEREAU (1973), puis relayée par M. PHILIPPS (1985) est, elle, apparentée aux descriptions physionomistes des naturalistes allemands en se basant sur les formes et les types structuraux des couverts végétaux.

Le paysage, compris comme un simple objet d'étude reste encore aujourd'hui le point central de nombreuses recherches. Ainsi en France, une équipe basée à Bordeaux (M.-F. SLAK et C. VIDAL, de l'ENITA et du SCEES) a initié en 1995 la mise en place d'un outil permettant d'appréhender l'évolution des paysages à travers l'évolution des objets physiques qui le constituent. Cet indicateur de paysage « TER-UTI » s'appuie sur les données récoltées dans le cadre de l'Enquête d'Utilisation du Territoire menée depuis 1977 et qui inventorie annuellement les occupations par parcelles à l'échelle de l'ensemble du territoire français.

Cependant, les limites de telles conceptions développées dans le cadre du Paysage - Objet sont évidentes : le territoire n'est appréhendé que sous son angle purement morphologique, elles adoptent un point de vue réducteur concernant le paysage en évacuant l'homme ainsi que toutes les relations émotionnelles qui le lient à l'espace.





Paysage sujet
   

Donner une valeur au paysage relève d'une démarche différente. Alors que le paysage-objet ne donne lieu qu'à une compréhension de l'organisation du territoire (proche du paysage de la géographie contemporaine), l'évaluation du paysage implique l'établissement d'une échelle de valeur susceptible de refléter la qualité du paysage en fonction de critères d'évaluation. C'est à partir de ces critères que l'on peut distinguer les trois principaux types de méthodes utilisées pour évaluer un paysage :

Certaines approches, situées au pôle objectif du paysage, suggèrent que les critères ne dépendant que des formes concrètes du paysage prennent une part prépondérante dans l'évaluation du paysage.
Ainsi, elles considèrent avant-tout que la perception est immédiate : nous retrouvons là l'héritage de la Gestalttheorie selon laquelle chaque formes a une valeur qui lui est propre (une forme est « bonne » ou « mauvaise » en soi),
D'autres approches, situées cette fois au pôle subjectif du paysage, privilégient les représentations sociales comme uniques critères d'évaluation possible sans s'interroger réellement sur le rôle que jouent les données spatiales dans la perception du paysage.
Elles s'intéressent aux systèmes de valeurs des individus et aux façons dont ils se les constituent à partir des données socioculturelles ou de l'expérience propre à chacun.
Enfin, les approches mettant en évidence les liens entre l'objet et le sujet tentent de comprendre les relations existant entre les formes du paysage et ses représentations sociales. Les critères d'évaluation retenus s'efforcent ainsi de lier un objet donné à un type de représentation précis.
Elles correspondent cette fois pleinement à la définition admise de la notion de paysage.

Approches privilégiant le pôle OBJECTIF
 
La valeur intrinsèque des composantes spatiales du paysage peut être traduite par 5 principales catégories de méthodes :
La valeur écologique du paysage
Ecologie et paysage sont de plus en plus liés : La planification écologique ou la « landscape ecology » (Ecologie du Paysage) montrent qu'il est possible d'associer les assemblages des divers éléments du paysage à des fonctions écologiques (Mc ARTHUR & WILSON, 1967, BURGEN & SHARPE, 1981).
On considère que c'est l'ouvrage de I. Mc HARG (1969), un architecte paysagiste travaillant en milieu urbain, qui a été le véritable fondateur de ce courant de pensée. En France, la première méthodologie d'évaluation initiée sur ce modèle a été adaptée entre 1973 et 1977 par M. FALQUE (ancien étudiant de Mc HARG) et J. TARLET au moyen d'un procédé d'analyse multisectorielle statique.
Afin de se justifier vis-à-vis de la demande sociale en paysage pour laquelle les fonctions écologiques du paysage ne sont pas forcément évidentes, certains auteurs pensent que l'écologie du paysage peut montrer une certaine qualité scénique : ainsi, selon eux, « la notion de durabilité écologique peut parfois renvoyer à celle de patrimoine, voire d'esthétique lorsque les éléments qui favorisent le fonctionnement écologique sont aussi ceux qui « flattent l'oeil » : bosquets, haies, mares » (C. THENAIL, 1996).
La valeur scénique du paysage
Ces approches font appel à l'analyse de photographies obliques, de cônes de vue ou de sites dont l'évaluation met plus en évidence la qualité de la composition des objets du paysage que celle que peuvent lui attribuer des individus se trouvant dans le lieu correspondant et s'y déplaçant.
L'analyse de vues ou de photographies
Les anglo-saxons travaillent depuis les années 60 à l'évaluation de la « scenic beauty ». Ainsi E. L. SHAFER & J. MIETZ (1970) ont mis au point une méthode permettant de noter la beauté visuelle des paysages à partir de photographies. De même, K.D. FINES (1968) privilégie l'examen de photos classiques à celui de photos aériennes ou de cartes, comme les démarches issues des travaux de C.V.R. TANDY (1969) : la méthode C.S.W. ( 1971) adaptée en France par P. MIRENOVICZ (1978) ou la méthode de Manchester (1976).
En pays francophones, G. NEURAY (1982) s'attache à évaluer la qualité des éléments ou des groupes d'éléments constitutifs d'une vue. L'école de Besançon (J.-C. WIEBER & TH. BROSSARD, 1984 et S. ORMEAUX, 1987) analyse le rapport existant entre les objets réels présent dans une photographie et les images que l'on en perçoit.
L'analyse des sites : La Sitologie
Les approches développées autour du paysagisme d'aménagement, représentées en France par B. FISCHESSER (1985), relèvent du domaine de la « Sitologie ». Cette science de l'analyse des sites prend en compte les rapports visuels d'ordre géométrique et chromatique et se fonde sur des règles apparentées à la psychologie des formes empreintées aux principes utilisés en arts plastiques et en architecture.
La valeur d'ensemble d'un paysage
Le paysage n'est plus réduit au cadre étroit d'une photographie ou d'un cône de vision mais il est caractérisé par la totalité des éléments qui le composent et qui constituent des indicateurs visuels ou « physionomiques ». La qualité du paysage est reflétée par addition plus ou moins pondérée des notes attribuées aux indicateurs par les habitants.
Les principes de base sont posés par K. LYNCH (1960) dans le cadre de paysages urbains. Ils préfigurent les méthodes faisant le lien entre le pôle objectif et le pôle subjectif du paysage (Cf. plus loin). Leur utilisation par d'autres auteurs, D.L. LINTON (1968) et B.C. WALLACE (1974) notamment, donnent cependant lieu à des approches trop simplistes pour être vraiment utilisables.


Approches privilégiant le pôle SUBJECTIF
 
Elles s'intègrent aux systèmes de valeur des individus et aux façons dont ces systèmes se constituent à partir des données socioculturelles ou de l'expérience propre à chaque individu.
Des philosophes, des historiens d'art ou des géographes se consacrent à l'analyse des produits iconographiques et littéraires. Ils partent du postulat que l'art initie ou exprime les grandes évolutions de la perception dans la société. Bien que les paysages qui en ressortent soient avant-tout le reflet de la vision d'élites (artistiques, scientifiques ou sociales), certains font quand même l'objet d'une appréciation très large dans la société.
Y. LUGINBÜHL (1989), par exemple, dans son étude sur la commune de Boischaut (Bourgogne) s'interroge sur l'origine des représentations sociales du paysage. Il remarque que le paysage de Boischaut qu'a décrit George Sand au 19ème siècle correspond à l'idée que s'en font aujourd'hui encore les habitants. Cependant, d'après lui, cette « hypothèse de la construction élitaire des métaphores paysagères locales » n'explique pas la diversité des représentations locales du paysage.
L'approche sociologique permet d'enrichir l'analyse par l'apport des enquêtes de fréquentation. Elles sont un moyen d'appréhender ce que les individus viennent chercher dans le contact avec la nature et utilisent essentiellement la technique du questionnaire (travaux de B. KALAORA en 1993 sur la forêt d'Ile de France).
D'autres auteurs ont tenté de traduire les différentes façons d'appréhender un paysage. Ainsi, G. SAUTTER (1991) a introduit la notion de « paysagisme » en distinguant le paysagisme « ordinaire » (du vécu journalier) de « l'utilitaire » (qui sert à informer), « l'hédoniste » (source de plaisir) ou du « symbolique » (d'un pouvoir p.e.).

Approches liant OBJET et SUJET
 
La démarche se décompose, schématiquement, en trois étapes principales :
1.
une analyse classique du paysage-objet,
2.
un inventaire des différentes perceptions à l'égard du paysage,
3.
une synthèse des données rassemblées lors des deux premières phases pour mettre en évidence les différentes unités paysagères.

Il est possible de distinguer trois grands types d'approches de ce type :

   
L'approche géographique
 
L'approche géographique se caractérise par l'utilisation fréquente de grilles d'analyse.
Au Québec, A. BAILLY (1986), dans une étude portant sur le milieu urbain, se refuse à se limiter à des analyses d'ordre purement objectives en adoptant conjointement 2 types d'approches, l'une « dénotative » (portant sur le support matériel du paysage) et l'autre « connotative » (qui s'appuie sur la détection des signifiants culturels et symboliques du paysage). FREMONT (1974) enrichit la démarche connotative par la recherche des thèmes oniriques (sentiment de solitude, de peur, ...) que peuvent inspirer un paysage. Un autre groupe de géographes québécois a mené une « analyse perceptuelle exhaustive » avec un inventaire d'espaces culturels par le procédé du questionnaire (L. BUREAU, 1977), suivi d'un inventaire du contenu des paysages « indépendamment de tout jugement de valeur » (J. RAVENEAU, 1977).
En France, toujours dans le même esprit, l'Ecole de Toulouse (1988, Colloque "quadrature du paysage") présente une approche analytique du paysage, valable à l'échelle d'une unité paysagère aux caractéristiques sociales et écologiques homogènes, et jouant sur 2 niveaux successifs : celui de l'émetteur du message paysager (système naturellement et/ou anthropiquement construit) et celui du récepteur du message paysager (ceux qui perçoivent ce "message" et l'utilisent par leur vécu et leur action). Dans le cadre des travaux menés par les Géographes de la Région Rhône-Alpes, CH. AVOCAT (1984) a mené une réflexion méthodologique comparable qui aboutit à une combinaison de grilles d'analyse très élaborée. Ces grilles, plus codifiées que celles des toulousains consacrent une large part aux faits de perception et aux approches sensorielles.

   
L'approche sociologique
 
Elle privilégie, le plus souvent au moyen de questionnaires ou de photographies, le contact avec la population locale afin d'appréhender de la meilleure façon les formes correspondant à l'attente sociale.
Les enquêtes ethno-sociologiques menées par J. CLOAREC & M. De La SOUDIERE (1992) se basent sur la réalisation d 'entretiens semi-directifs ou libres auprès d'un échantillon pris parmi les populations fréquentant un territoire (résidents et usagers réguliers. Y. LUGINBÜHL (1989) utilise la photographie comme un support à l'entretien : elle peut aider à reconstituer les images mentales que les individus ont de leur territoire . Plus tard, en 1994, l'auteur participe à une enquête portant sur la demande en paysage menée dans le cadre des travaux du laboratoire STRATES de l'Université de Paris et le SEGESA (Société d'Etudes Géographique, Economique et Sociologique Appliquée avec K. SIGG, X. TOUTAIN, J.-C. BONTRON) pour le compte du Ministère de l'Environnement. Ses conclusions, qui révèlent davantage un désir de « nature sauvage » qu'un désir de « campagne » (c.à.d. la nature anthropisée), sont confirmées par l'enquête menée par S. CHALIER (1995), Chambre d'agriculture de l'Isère et université Joseph Fournier, (Grenoble). A plus petite échelle, M. WINTZ (1995) a entrepris une recherche similaire dans le Ried alsacien en confrontant les points de vue d'agriculteurs, de pêcheurs et de protecteurs de la nature.
Les analyses de préférences de photographies, ont surtout été développées par les anglo-saxons et utilisées par des espagnols (R.-P. ABELLO & Al., 1989). On peut citer le travail d'un français, M.-C. BRUN-CHAIZE (1976), portant sur les préférences du public en matière de paysage forestier. L'américain PALMER adopte quant à lui une démarche originale en proposant aux enquêtés de classer une série de photographies, sensée couvrir de façon représentative un territoire donné, selon les critères qu'ils veulent.

   
L'approche économique
 
Les économistes considèrent le paysage comme un bien collectif, et s'intéressent à la logique sociale globale qui le sous-entend. La valeur du paysage peut être déterminée par différents types d'analyse (FACCHINI, 1994) :
L'évaluation du coût du trajet et des prix hédonistes
Elles se basent sur les usages existants, les comportements réels. La première calcule le temps et l'argent qu'un individu consacre pour passer un moment à un endroit. La seconde compare les valeurs foncières et les salaires dans différents lieux, en partant du principe que leurs montants incluent les bénéfices liés à l'environnement : la vue sur la mer, par exemple, a un prix ...
La méthode contingente
Elle permet de comparer les valeurs de paysages en dehors de leur utilisation effective : s'appuyant sur des préférences photographiques, elle essaie de mettre en évidence ce que les gens seraient prêts à payer pour accéder à tel paysage plutôt qu'à un autre. Elle met en relation les formes et leur évaluation.





Paysage agraire
   

Le Paysage Agraire présente une originalité, et de taille, par rapport au Grand Paysage : il est totalement construit par les pratiques des agriculteurs. Aussi s'il est possible de comprendre les liens existant entre les pratiques et le paysage qui en résulte n'est-il pas utopique de pouvoir créer un jour des paysages d'une qualité donnée. Cela pourrait ouvrir de nouvelles perspectives en matière d'aménagement du territoire sachant que l'agriculture valorise une grande partie de l'espace rural.

On peut également définir deux principales manières d'appréhender le paysage agraire :

Dans le domaine commun à l'agriculture et au paysage, la plupart des approches prennent pour objet central de recherche les activités humaines et leurs conséquences sur l'organisation du territoire.
Ces démarches, qui prennent part à des sciences telles que la géographie ou la recherche - système en agriculture s'orientent souvent vers l'analyse et la typologie des pratiques agraires. E. LANDAIS et J.-P. DEFFONTAINES (1988) ont d'ailleurs fait le point concernant les recherches relatives aux pratiques des agriculteurs.
Parmis les travaux les plus récents, E. LANDAIS et ses collaborateurs ont, dans le cadre du Projet MAP (Modélisation, Agriculture, Paysage, 1996), pour ambition de rendre compte des relations existant entre la dynamique des systèmes techniques de production mis en oeuvre par les exploitations agricoles, et l'évolution qui en découle au niveau de l'espace et du paysage. L'objectif de cette recherche exploratoire « n'est pas la construction d'un outil d'aide à la décision destiné à des utilisateurs extérieurs mais celle d'un prototype. Cette entreprise, certes destinée à tester la faisabilité à terme de semblables outils, vise d'abord et surtout à faire avancer les connaissances en les mettant à l'épreuve d'une cohérence formelle » (E. LANDAIS, 1996). De nombreux ouvrages s'intéressent d'une manière analogue à l'influence des pratiques agraires sur le paysage. A titre d'exemple, on peut citer ceux, très intéressants, de C. JANIN (1995) ou Ch. et Ph. BERINGUIER (1991).
Malgré leur grand intérêt, ces approches restent cependant très descriptives et s'apparentent aux travaux entrepris au début de l'histoire du paysage et qui consistaient non-pas à évaluer un paysage mais à comprendre les processus étant à son origine. L'étude des systèmes techniques et des pratiques mises en oeuvre en agriculture constitue cependant une étape nécessaire pour pouvoir ensuite évaluer la qualité d'un paysage agraire.


Comme dans le cas de l'évaluation du Grand Paysage, on peut distinguer trois principales méthodes d'évaluation du Paysage agraire :

Approches privilégiant le pôle OBJECTIF
 
Les critères ne dépendant que des formes concrètes du paysage agraire prennent une part prépondérante dans son évaluation :
La valeur écologique du paysage (agro-écologie et écologie du paysage)
Des auteurs, tels F. BUREL ou Y. BAUDRY se proposent de faire en sorte que les pratiques touchant l'espace agricole prennent mieux en compte les facteurs d'ordre écologiques. Un programme de recherche pluridisciplinaire, lancé en 1996 par le Ministère de l'Environnement s'intéresse particulièrement aux paysages de bocage (Cf. Travaux de C. THENAIL, 1996).

Approches privilégiant le pôle SUBJECTIF
 
L'étude des représentations sociales constituent les critères d'évaluation majeurs du paysage agraire :
L'approche sociologique
N. CADIOU (1991) s'est intéressée à la perception du paysage rural par les ruraux eux-mêmes. Cette approche permet de comprendre l'idée que se font les agriculteurs de l'esthétisme et qui se ressent forcément dans leurs pratiques quotidiennes. Elle révèle notamment leur sensibilité au « propre » et à « l'ordonné » qui se démarque nettement de la demande sociale actuelle en paysages qui se porte plutôt sur le paysage « sauvage » (Cf. Y. LUGINBÜHL et S. CHALIER).

Approches liant OBJET et SUJET
 
Synthèses des deux approches précédentes, elles s'efforcent de comprendre les relations existant entre les formes des paysages agraires et ses représentations sociales :
Dans le cadre d'une évaluation contingente des paysages, F. COLSON et A. STENGER (1995) ont mis en place une méthode permettant d'évaluer la qualité des paysages agricoles de Loire Atlantique en interrogeant un panel de 700 ménages. Cette enquête, la première de ce type menée en France, est cependant très réductrice en ne se limitant qu'à l'aspect bocager du paysage.
Les études s'efforçant de prendre en compte l'ensemble des formes paysagères produites par l'agriculture ne se limitent encore qu'à un début de conceptualisation et aucune véritable méthodologie n'a encore été mise en place. Mais l'idée germe depuis le début des années 90 et a été traitée par différents auteurs, aussi-bien agronomes que géographes ou paysagistes avec notamment : Y. LUGINBÜHL (Laboratoire STRATES, Université Paris I), B. FISCHESSER (CEMAGREF, Grenoble), J.-P. DEFFONTAINES ou C. LAURENT (INRA - SAD, Versailles).
Ils admettent tous, implicitement, qu'il est nécessaire de répondre à trois questions :
  1. Quelle est l'OFFRE en formes ?
    Cette offre découle directement des pratiques que les agriculteurs mettent en oeuvre et qu'il faut identifier. Le projet MAP (E. LANDAIS, 1996) se propose par exemple de répondre à cette question.

  2. Quelle est la DEMANDE en formes ?
    La demande, qui ne relève pas des compétences agronomiques, soulève bien des interrogations. J.-P. DEFFONTAINES suggère par exemple de rendre le paysage agraire plus proche de la société, plus intelligible. Dans un autre registre, l'enquête menée auprès de 200 personnes par Y. LUGINBÜHL & Al. révèle plus un désir de nature sauvage qu'un désir de « campagne »,

  3. Comment CONCILIER offre et demande ?
    Il faudrait non-seulement identifier les formes qui correspondent à l'attente sociale en matière de paysage mais aussi faire en sorte qu'elles deviennent l'objet d'une « situation de gestion » (GIRIN, 1990). Dans ce cadre, C. LAURENT se montre réservée quant aux possibilités pour l'agriculture de devenir le prestataire d'un service - paysage tel que cela a été défini lors de l'Assemblée Permanente des Chambres d'Agriculture en novembre 1990.
Le souci de répondre à ces 3 questions, les seules à même de nous permettre d'évaluer le paysage agraire de manière sensée, nous guidera afin d'élaborer un Indicateur Paysage Agro-Environnemental ...


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